Le 21 août dernier, le gouvernement fédéral et celui de l’Ontario ont annoncé des investissements substantiels destinés à 3M Canada afin qu’ils puissent élargir leur usine de Brockville et, dès le début 2021, produire 50 millions de respirateurs N95 à chaque année et pendant cinq ans. C’est un pas important pour régler la pénurie actuelle de cet EPI tellement nécessaire. Assurer la capacité nécessaire pour les produire au Canada est aussi un pas important considérant les incertitudes par rapport à la chaîne mondiale d’approvisionnement. Toutefois, ce n’est pas suffisant pour combler les lacunes actuelles dans la chaîne d’approvisionnement et les exigences dictées par les politiques sur les EPI.

D’abord, pourquoi a-t-il fallu une année complète entre l’annonce, de l’émergence du nouveau virus, fin 2019, et le lancement de la production à Brockville? Après la crise du SRAS en 2003, une Commission royale a fait des recommandations – à la demande des travailleurs de la santé et de leurs syndicats – dans le but de répondre adéquatement à la prochaine pandémie, y compris toujours tenir compte du principe de précaution pour gérer les risques à la santé et à la sécurité du personnel et des personnes dont ils prennent soin, et cela en stockant des respirateurs N95 et en diminuant le pourcentage de personnel de la santé à temps partiel. En fait, pendant la crise de la COVID-19, le principe de précaution a été ignoré et les stocks de masques se sont épuisés. Le pourcentage de personnel à temps partiel a augmenté significativement pendant la période 2003-2019 alors que l’on tentait d’équilibrer les budgets en santé en jonglant avec les réductions réelles et la croissance et le vieillissement de la population. Cela a grandement contribué au fait que nous n’étions pas préparés cette fois-ci.

Deuxièmement, que va-t-il arriver entre maintenant et le moment où les nouveaux respirateurs arriveront? Le gouvernement fédéral a initialement commandé 154 millions de respirateurs N95 mais en a seulement reçu 61 millions jusqu’à maintenant [1], ce qui laisse un grand manque à gagner qui ne fera que s’envenimer s’il y a une deuxième vague de la pandémie ou s’il devient impossible de s’approvisionner à l’étranger.

Troisièmement, l’important n’est pas seulement le nombre de respirateurs fabriqués mais l’accès à ces derniers. Pendant toute cette crise, on a fait la sourde oreille aux voix des travailleurs de premières lignes et de leurs syndicats. Ignorant le « principe de précaution » – dans un contexte d’incertitude et de risques élevés, le bénéfice du doute devrait reposer sur ceux et celles dont la sécurité est directement affectée – les employeurs (avec l’appui du gouvernement fédéral et de celui de l’Ontario) ont souvent défini les « besoins » de façon étroite afin d’alléger la pression par rapport aux approvisionnements et ont alors diminué de façon drastique les nombres de respirateurs requis officiellement. Par conséquent, les travailleurs de la santé représentent le taux de plus élevé d’infections à la COVID-19 au Canada.

C’est quand même remarquable que, dans un tel contexte il y a eu seulement des « mesures incitatives » et aucune pression directe exercée sur les compagnies pour convertir leurs usines afin de répondre à cette urgence sociale. Ce dont nous avions besoin pendant cette urgence sanitaire n’étaient pas des « subventions » et des « mesures incitatives » mais plutôt des décisions fermes de la part du gouvernement, une planification générale, et le recours aux pouvoirs d’urgence pour obliger la conversion des usines de fabrication et accorder priorité aux besoins publics (comme ce serait le cas lors d’urgence en temps de guerre). La grande usine de GM à Oshawa, par exemple, n’a pas besoin d’être élargie. Elle fabrique déjà des masques chirurgicaux et pourrait rapidement fabriquer des respirateurs N95 car GM à déjà mis au point le processus et fabrique des N95 pour le gouvernement américain à son usine de Warren au Michigan.

Bien que nous accueillions favorablement l’initiative de Brockville, notre expérience récente illustre clairement les dangers de s’appuyer sur la bonne volonté des compagnies motivées par les profits pour régler, de façon efficace, les enjeux sociaux cruciaux comme les soins de santé. C’est pourquoi nous demandons aux gouvernements fédéral et provincial de sommer, immédiatement, General Motors à produire des respirateurs N95 à son usine d’Oshawa, comme l’ont fait la plupart des pays qui ont le mieux réussi à protéger leur population et leur personnel de la santé car ils ont tenu compte de la possible transmission par voie aérienne du virus et ont protéger les vies en conséquence.

[1]https://www.tpsgc-pwgsc.gc.ca/comm/aic-scr/provisions-supplies-fra.html